Engagement et activisme, même combat ?
Le 28/09/2022
démarche vertueuse : c’est « in ». In et confortable ? Agir ne serait-il pas plus adapté au vu de l’urgence écologique ?
Du voisin qui utilise des produits ménagers toxiques tout en triant ses déchets aux pétroliers « engagés pour la planète », tout le monde « s’engage » dans une
démarche vertueuse : c’est « in ». In et confortable ? Agir ne serait-il pas plus adapté au vu de l’urgence écologique ?
«Être engagé est devenu une stratégie marketing pour vendre plus », regrette Pauline Boyer, porte-parole d’Alternatiba.
Le ton est donné. Le mot est si galvaudé que faire son travail – rémunérer justement ses employés, pour une entreprise par exemple – suffit à se voir qualifié d’« engagé » ou d’« activiste ». Le curseur se pose différemment selon l’observateur. Pour ceux qui profitent du système en place, celui qui agit de façon humaine et juste est engagé, et celui qui alerte de façon disruptive frôle le terrorisme. Ceux qui subissent le système parleraient plutôt de normalité et d’activisme ! C’est que ces notions sont saturées de sens et d’imaginaires.
L’engagement en baisse ?
On serait moins engagé en 2020 que dans les années 1960, l’abstentionnisme en hausse le prouverait, on noterait moins de créations d’associations ces dernières années…
Pire, « le terme d’engagement semble faire peur parce qu’il est attaché à l’imagerie politique, qui subit une grande défiance », nous confie Nathalie Moliner, psychothérapeute et conseillère écosystémique. Certes, dans son acception partisane et ses formes traditionnelles (partis politiques, syndicats, associations classiques très hiérarchisées), l’engagement n’attire plus. Mais cela traduit un besoin d’horizontalité et d’autonomie, d’où la multiplication de formes nouvelles d’un engagement dont on mesure une certaine stabilité sur les 50 dernières années.
Mieux, l’environnement comme motif d’engagement a gagné 6 points entre 2019 et 2020, et les associations comme Alternatiba ou Extinction Rebellion (XR) ont enregistré des vagues importantes de ceux qu’ils nomment « nouvelleaux* » en 2022. Mais de quel engagement parle-t-on ?
Pour Pauline Boyer, pas de clivage entre les activistes envahissant un tarmac et des citoyens créant un tiers-lieu pour le cultiver : « L’essentiel est de passer à l’action pour changer la société, de transformer sa vie pour donner du temps à l’évolution de la société. » L’engagement, dans lequel on donne quelque chose « en gage », supposerait donc un don de temps et d’énergie.
* Contraction de « nouveau » et « nouvelle » issue de l’écriture inclusive.
Un changement de forme
L’engagement contemporain se fait de façon plus fluide et multimodale qu’avant et dans des structures bien plus souples. On s’engage dans une action ponctuelle, dans un projet local ou un mouvement, de manière successive ou parallèle.
On combine donc pétitions, engagement en ligne (tweetstorm, tempête de tweets), sensibilisation, construction d’alternatives concrètes comme les écolieux, manif, désobéissance civile.
L’engagement a aussi perdu sa notion sacrificielle propre aux années 1960-1980 : « On s’engage beaucoup moins pour un projet global et de longue portée mais pour des résultats partiels, concrets, immédiats. La satisfaction personnelle qu’on en retire, loin de devoir être niée ou sacrifiée au profit de l’intérêt collectif, en est au contraire un élément essentiel de sa construction », écrit le sociologue Jean-Pierre Worms en 2017 dans Militance et militantisme en mutation.
Et une évolution des profils
Si les personnes diplômées restent surreprésentées dans le milieu militant**, on note que l’engagement touche plus tôt (dès le collège !) et des milieux inattendus, réputés moins impliqués politiquement, comme les jeunes ingénieurs refusant de coopérer en « bifurquant » en masse au début de cet été, ou les scientifiques.
Pour un nombre croissant de ces derniers, faire son métier et lancer l’alerte ne suffit plus face au danger.
Thierry de Novhadau, porte-parole de Scientist Rebellion, organisation sœur de XR, le résume ainsi : « Si vous voyez du feu dans une maison, vous ne vous contentez pas d’informer calmement les autres, vous les tirez par le bras ! Comment attendre des gens qu’ils se mobilisent si ceux qui savent ne font rien ? »
L’espace public, en ligne ou en rue, est donc investi de façon contestataire, politisée et revendicatrice.
L’engagement ayant tendance à engendrer l’engagement, il s’y forme une pente naturelle vers une forme de radicalisme que l’on pourra appeler… activisme.
** Probablement parce que les personnes diplômées ont pu développer un sentiment de pouvoir d’agir, là où les personnes peu ou pas diplômées ont souvent un sentiment d’impuissance acquise, qui bloque l’action, selon le sociologue Laurent Lardeux
Source : https://telemaque.injep.fr/GED_RFX/191658091983/INJEPR-2020-14.pdf
De l’engagement à l’activisme
L’engagement lie par une promesse, que l’on respecte (comme la charte de Biocoop) ou non (comme l’Accord de Paris sur le climat).
Il impose une dimension contraignante et un échange, qui peut aller jusqu’à la « mise en gage » de son intégrité physique ou morale, sa liberté, son équilibre économique.Le moteur et ciment serait… la cohérence.
« Mon engagement est total : physique, moral, mental, il s’insère dans ma vie personnelle, mes pratiques quotidiennes, mes cercles sociaux », illustre Élodie Nace, porte-parole d’Alternatiba avec Pauline Boyer, qui renchérit : « Pour moi, l’engagement commence vraiment là où on sort de son jardin et où on va cultiver ce qui concerne la société. C’est tâcher de rendre son écosystème le plus vertueux et solidaire possible, et chercher à étendre cela à la société entière. »
Tous les premiers concernés par la question alertent toutefois : attention à la pureté militante, l’activiste n’est ni un modèle ni un héros, mais celui qui agit pour transformer le paysage immédiat ou politique.
La psychothérapeute Nathalie Moliner ajoute que l’activisme, surtout écologiste, a une composante de résistance importante. On en trouve le degré le plus élevé dans la désobéissance civile, qui joue sur la notion de droit, comme évoqué en 2021 par Sonya Djemni-Wagner dans son étude : « Les mobilisations sont souvent une résistance à des projets du gouvernement ou soutenus par lui, qualifiés d’inutiles et nuisibles. »
Cette résistance prend sa source dans l’existence et la promotion de modèles alternatifs. Et, tous les activistes l’affirment, elle trouve sa force et son succès dans le collectif : l’activisme apporte reliance, joie, espoir et parfois… célébration. L’activisme est donc une forme radicale d’engagement vers laquelle la cohérence amène naturellement.
Couper l’eau en se brossant les dents est utile mais n’est pas engagé : on n’a rien donné en gage. Quant à l’activisme, il s’agit plutôt d’un gage demandé à autrui et d’actions collectives, légales ou non, visant à modifier en profondeur le paysage, les modes de vie, les lois. Comme le dit Élodie Nace, « les mots sont souvent dévoyés, comme lorsque Monsieur Macron reprend des termes de militants et les vide de leurs sens. Il faut sans doute se réapproprier le sens du mot “engagement” ou davantage revendiquer le terme d’activisme… »
Retrouvez cet article en intégralité dans le n°125 de CULTURESBIO, le magazine de Biocoop, distribué gratuitement dans les magasins du réseau, dans la limite des stocks disponibles.